À une époque où les crises s’accumulent – climatiques, sociales, politiques -, le besoin de retrouver du sens, de créer du lien et de raconter autrement le monde grandit.
Et ce qui est vrai aujourd’hui l’a toujours été : qui n’a jamais étudié à l’école le poème “Liberté” de Paul Eluard, ou encore le fameux tableau “Guernica” de Pablo Picasso ?

Le politique a toujours eu sa place dans le monde artistique, pas seulement pour donner des leçons, mais aussi et surtout pour ouvrir des espaces. Des espaces d’émotion, de réflexion, d’action.
Dans cet article, je vous parle donc des fondements de l’art engagé, d’artistes et d’œuvres engagées qui ont marqué leurs époques et qui nous inspirent aujourd’hui dans notre travail. Et, je l’espère, il vous donnera envie de vous y mettre à votre tour, à votre échelle… C’est parti pour ce voyage à la rencontre de l’art engagé : celui qui touche, qui dérange parfois, mais surtout, qui rassemble !
L’art engagé : une nécessité dans un monde en mutation
Quand la société se voit bouleversée, les artistes ne restent pas en retrait, bien au contraire. L’art devient un moyen d’expression, un outil de lien, un souffle pour redonner du courage. Art engagé ou encore artivisme… Je vous en parle plus en détail dans cette première partie !
Un monde en crise qui appelle à la création
Face à l’éco-anxiété, aux injustices sociales, à la montée des replis identitaires, les mots nous manquent parfois. Et pourtant, nous avons besoin de raconter ce que nous traversons.
L’art offre une réponse sensible et puissante. Il permet de poser un regard, de dire l’indicible, de faire jaillir la lumière au cœur du chaos. Créer devient alors un acte de survie, de résistance, mais aussi d’espoir.
“Prenez vos plumes et vos stylos, ce sont vos armes les plus puissantes” disait Malala Yousafzai, militante pakistanaise pour les droits des femmes et Prix Nobel de la Paix. Les artistes sont aussi celles et ceux qui rêvent, qui réinventent les contours du monde de demain. Au cinéma, au théâtre, dans la littérature… Ils permettent de créer de nouveaux imaginaires, pour nous projeter dans des modèles de société plus durables et plus justes.

Avant de vous parler plus en détail d’œuvres et de figures de l’art engagé qui nous inspirent chez Maux d’espoir, faisons le point sur la base de la base : la définition de l’art engagé et de son dérivé, l’artivisme.
Art engagé, définition
L’art engagé désigne toute forme artistique qui cherche à éveiller les consciences, à porter un message, à agir sur le monde. Il s’oppose donc à “l’art pour l’art”, selon lequel l’art devrait être purement esthétique et n’aurait aucune autre utilité que sa beauté (oui, j’ai quelques restes de mes cours de philo).
Qu’il s’agisse de théâtre, de peinture, d’écriture, de danse, de photographie ou même de musique, ce qui compte quand on fait de l’art engagé, c’est l’intention : dénoncer, sensibiliser, proposer des alternatives.

Si l’art peut sembler être un “gros mot” parfois réservé à une élite artistique, on s’aperçoit que les formes d’art engagé naissent aussi souvent dans les milieux plus populaires, parmi les minorités opprimées. Et dans ce contexte, on parle aussi d’artivisme !
Et l’artivisme, c’est quoi ?
Né de la contraction entre « art » et « activisme », l’artivisme est une forme d’art engagé qui prend place dans l’espace public, dans les luttes, dans les actions concrètes.
Street art, performances militantes, slogans détournés : l’artivisme bouscule, interroge, dérange parfois, mais surtout, il rend visible ce qui ne l’est pas. Il sort l’art des musées pour le rendre vivant, collectif, accessible. Le terme apparaît au début du XXème siècle, notamment en Allemagne et en Russie, puis s’épanouit aux Amériques, tout comme l’éco-féminisme à la même époque.
En France, le mouvement de l’écologie culturelle prend de l’ampleur ces dernières années, et des collectifs artivistes proposent des actions et performances partout en France. Le collectif There’s a Way propose par exemple des performances artivistes dansées pour soutenir le travail des ONG, protester contre les lois et réformes injustes ou écocidaires, ou encore lutter contre l’oppression des femmes dans le monde.
Le Bruit qui Court est aussi devenu le collectif de référence en matière d’artivisme en France. Connu pour sa performance Résiste!, son canular géant contre le projet climaticide Eacop, ou encore ses événements festifs et engagés, Le Bruit qui Court a fait de la joie et de la célébration l’un de ces modes d’action principaux.
Un atelier à découvrir : Racines Artivistes
Racines Artivistes, c’est l’atelier collaboratif créé par Le Bruit qui Court pour explorer la puissance de l’artivisme et de l’art engagé sous toutes ses formes. En s’appuyant sur une diversité d’œuvres et d’actions, les participants et participantes peuvent s’inspirer, questionner, et imaginer à leur tour leur propre performance ou création engagée.

Et vous savez quoi ? Faisant aussi partie du collectif Le Bruit qui Court et formée à l’animation de cet atelier, je l’organise dans le cadre de Maux d’espoir ! Si l’atelier vous intéresse, c’est par ici que ça se passe.
De l’art engagé, d’hier à aujourd’hui
Cette manière d’utiliser l’art pour dire, questionner, dénoncer, n’est pas nouvelle. Avant nous, d’autres ont pris la plume, le pinceau ou la scène pour faire résonner leurs luttes.
L’art a-t-il toujours été engagé ?
On l’a vu plus haut, l’art pour l’art (concept apparu en tant que tel au début du XIXème siècle) place l’esthétique au-dessus de toute forme d’engagement politique.
Tous les artistes ne font donc pas nécessairement de l’art engagé, mais pour autant, l’art a toujours dialogué avec son époque. Des fresques rupestres racontant la vie des premiers humains aux pièces de théâtre d’Aristophane moquant les puissants, en passant par les chants révolutionnaires ou les tableaux dénonçant la guerre… Les œuvres d’art sont le reflet du monde dans lequel elles sont créées. En quelque sorte, un miroir que l’on promène le long du chemin, comme disait Stendhal des romans. Et quand ce monde est en crise, difficile, voire impossible de l’ignorer.

Tout le courant de la littérature concentrationnaire est né de ce constat : face à l’horreur du nazisme et des camps de concentration, impossible pour les auteurs et autrices de publier des livres comme si ce pan de l’Histoire n’avait pas existé. Une écriture impossible mais nécessaire, pour ne jamais oublier.
L’art engagé évolue donc avec les contextes, mais sa force est toujours la même : parler au cœur pour toucher l’intellect.
Les figures emblématiques de l’art engagé
Frida Kahlo, Nina Simone, Picasso, Ai Weiwei… Dans des disciplines et contextes très différents, ce sont peut-être des noms dont vous avez déjà entendu parler.
Ils et elles sont autant d’artistes qui ont mis leur art au service de causes qui les concernaient, et qui leur tenaient à cœur. Par leurs œuvres, ils ont dénoncé les oppressions, célébré les résistances, ouvert des brèches. Ces figures inspirent encore aujourd’hui celles et ceux qui cherchent à allier création et conscience.
Aristophane, l’un des premiers artistes engagés au monde
Parmi les premières œuvres que l’on peut qualifier d’engagées, on retrouve les pièces de théâtre d’Aristophane, au Vème siècle avant Jésus-Christ. On peut par exemple citer sa pièce L’Assemblée des femmes, une comédie grecque satirique où les femmes prennent le pouvoir pour instaurer l’égalité (une véritable critique des structures politiques d’Athènes !).
Olympe de Gouge, la figure féministe de la Révolution Française
Beaucoup plus tard, en 1791 et en France, Olympe de Gouges publie La Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne, un texte radical pour l’époque, dénonçant l’exclusion des femmes de la Révolution française et appelant à une véritable égalité.

Les chants spirituels afro-américains, un langage codé pour la survie
On note aussi les chants spirituels afro-américains, entre les XVIIIème et XIXème siècle, qui ont traversé les époques. Dans un contexte où les esclaves africains déportés en Amérique n’avaient pas le droit de s’exprimer librement, la musique (entre chants traditionnels et hymnes bibliques) devint un espace de liberté symbolique. Les esclaves y exprimaient leur souffrance, leur foi, leur espoir d’un monde meilleur, et parfois leur désir d’évasion ou de révolte.
Le théâtre de l’opprimé, au Brésil
Le théâtre de l’opprimé est l’une des formes d’art engagé les plus influentes du XXe siècle. Pensé comme un outil d’émancipation populaire, il ne vise pas seulement à représenter le monde, mais à le transformer, en donnant une voix active aux public. Le principe : tout le monde peut jouer, il n’y a pas de frontières entre les artistes et le public.
Augusto Boal, dramaturge, metteur en scène et militant brésilien, développe cette méthode à partir des années 1960, en s’inspirant à la fois de Brecht (et de son théâtre politique) et des réalités sociales du Brésil. Pour lui, le théâtre permet de nommer les oppressions, et la scène, de tester des manières de résister… pour ensuite les appliquer dans la vraie vie !

Je pourrais passer encore des heures à faire des recherches et à vous partager le travail d’artistes engagé· es incroyables : le nombre incalculable de poèmes et textes appelant à la résistance sous l’occupation allemande, les Arpilleras (des tapisseries contre la dictature de Pinochet réalisées par des activistes chiliennes, qui circulaient de mains en mains), les Guerillas Girls aux USA, le travail de Mathieu Kassovitz avec son film coup de poing sur la réalité des quartiers La Haine (en ce moment adapté sur scène !) ou encore le travail du street artist Ernest Pignon-Ernest contre l’Apartheid…
Mais je vous propose de garder ça pour un futur article !
L’art engagé au 21ème siècle
Aujourd’hui, l’art engagé prend mille formes et s’incarne dans une multitude de voix. Les questions de genre, d’écologie, de racisme, de santé mentale ou encore du néo-colonialisme nourrissent les créations contemporaines.
Les réseaux sociaux, les lieux alternatifs, les collectifs artistiques sont autant de relais pour ces nouvelles formes d’expression, ancrées dans les luttes du présent.
Pour vous donner quelques pistes à creuser, chez Maux d’espoir, on est subjuguées par le travail de Laetitia Ky, artiste et activiste ivoirienne qui fait de l’intime un espace d’expression politique. Elle utilise ses cheveux comme matière première pour sculpter des œuvres capillaires, toutes plus impressionnantes les unes que les autres ! En mettant en valeur les coiffures précoloniales africaines, elle combat les normes euro-centriques de beauté. Elle aborde aussi des thèmes féministes forts, comme les violences sexistes et sexuelles.



Sur les réseaux sociaux, vous pouvez aussi trouver de nombreuses illustratrices engagées que Louise adore :
- Ici Jozi une illustratrice colorée et engagée autour de la cause du féminisme et de l’écologie
- La ville et les nuages qui à travers toutes ses illustrations prônent l’acceptation de soi et le selfcare
- Gaetane Rossel une illustratrice féministe et révoltée qui parle de ces sujets avec beaucoup d’humour
En matière de littérature, le dada de Christy, on vous recommande quelques pépites lues récemment :
- Rousse, ou les beaux habitants de l’univers, de Denis Infante, un hommage à la beauté du vivant sur une planète dévastée
- Les recueils de poèmes de Rupi Kaur, une ode à la féminité et aux droits des femmes
- Les romans de Djaïli Amadou Amal, sur l’émancipation des femmes camerounaises
- Le recueil Que ma mort apporte l’espoir, poèmes de Gaza, plus que nécessaire dans le contexte actuel
On terminera avec une pièce de théâtre à l’affiche à Paris (et éditée en version papier chez Albin Michel), Passeport, la nouvelle pièce d’Alexis Michalik. Le public suit le parcours d’Issa, un migrant érythréen amnésique, perdu dans la « Jungle » de Calais avec pour seul repère son passeport. Émotion, humour, et réflexion sur l’exil et l’identité…
La pièce a tout ce qu’il faut pour faire réfléchir et toucher, même les moins sensibles d’entre-nous à cette thématique. Un théâtre profondément humain, à la fois accessible et percutant.
L’art engagé… Et si c’était pour tout le monde ?
Trop souvent, on imagine l’art engagé comme un domaine réservé aux artistes ayant fait les études les plus élitistes. Et si on renversait cette idée ?
L’art engagé… ça se partage !
L’un des grands a priori sur l’art, c’est qu’il serait réservé à une minorité “sachante” ou “talentueuse”. Chez Maux d’espoir, on croit au contraire que chacun·e peut créer. Que toutes les émotions, les histoires, les colères et les joies ont de la valeur. L’art engagé ne demande pas d’être forcément diplômé des Beaux-arts : il demande une envie de dire, de faire, de relier.
D’autant plus à une époque où l’information circule à toute vitesse, et où les réseaux sociaux offrent une fenêtre ouverte sur le monde – et ce en temps réel. C’est pour cette raison que nous avons commencé à partager nos créations sur Instagram, pour toucher le plus grand nombre sur des causes qui nous tiennent à cœur, pour donner un regard engagé et sensible sur l’actualité.

Le travail d’une illustratrice qui vous parle, un poème ou une histoire courte qui vous émeut… En ligne ou imprimée sur une carte, un marque-page… Oui, même sans être accroché dans un musée, pour nous c’est déjà de l’art. De l’art qui vibre, de l’art qui vit et qui voyage, d’écran en écran, de mains en mains et de cœur en cœur.
Des ateliers créatifs engagés pour tous
Chez Maux d’espoir, quand on parle d’art engagé, on parle aussi de création artistique engagée. Et cette création, elle est d’autant plus puissante qu’elle est accessible à tous et toutes ! Si si, pas besoin de s’appeler Victor Hugo ou Frida Kahlo pour laisser parler l’artiste qui sommeille en vous. À tout âge et quel que soit votre niveau, vous avez en vous une part de créativité qui ne demande qu’à être réveillée.

Nos ateliers sont donc pensés comme des bulles de liberté – et de lâcher-prise. On y écrit, on y dessine, on y crie parfois, on y rêve. On y met en forme des sujets qui nous touchent, et on les transforme ensemble. Qu’on soit à l’aise avec les mots, les pinceaux ou pas, ce qui compte, c’est l’envie de participer, de ressentir, de créer du lien. Ces ateliers sont ouverts, accessibles, et toujours guidés avec bienveillance.
Impossible de conclure cet article par un “et voilà, vous savez maintenant tout sur l’art engagé !”. En réalité, il ne s’agit là que d’un bref aperçu sur ce thème, tout aussi complexe que passionnant. Mais j’espère qu’il vous aura donné l’envie de creuser davantage, et d’en découvrir un peu plus sur notre travail.

Car Maux d’espoir, c’est croire encore – et malgré tout – en la puissance du sensible. C’est refuser l’indifférence et l’inaction. C’est choisir l’art comme espace de rencontre, d’expression, de guérison. On sait bien que les maux du monde ne disparaîtront pas d’un coup de pinceau… mais on est convaincue qu’il est encore temps de leur opposer des couleurs, des mots, des gestes. Et de faire de nos blessures un langage commun. Un art engagé, vivant, humain… Un art de l’espoir !
Christy, pour Maux d’espoir